Scratch, scratché et déscratchage (18)

Publié le par Bob Tazar

Rappel de l'épisode précédent

Plongé dans mes pensées, j’ai un peu perdu le fil de l’exposé passionnant de notre nouvel ami, mais je prends soudainement conscience que son intonation a changée. Sa voix est subitement devenue plus sourde, plus traînante, ses yeux se sont mi-closés. Le nubile joue maintenant manifestement le registre de l’inquiétant et il est question de scratch, ou de quelque chose d’approchant.

Au bout de quelques minutes de flottement, je réalise que ce fameux scratch est en fait un petit bandeau de tissu d’une vingtaine de centimètres fixé sur la veste de treillis de chaque aviateur au niveau du cœur, sur lequel la main malhabile du caporal responsable du paquetage a écrit le nom du propriétaire du cœur en question. La fixation de ce bandeau s’effectue grâce à un ingénieux système de scratch (d’où son nom), qui lui permet d’être amovible et de pouvoir être retiré en cas d’infraction grave au règlement de la caserne. On parle alors de déscratchage, à condition de ne pas avoir trop de difficulté d’élocution.
L’aviateur déscratché se retrouve donc avec un emplacement vierge sur le treillis symbolisant aux yeux de tous et des gradés en particulier sa condition de puni. Seul la réalisation effective de sa punition permettra à l’aviateur félon de retrouver et son scratch et son honneur. Jusqu’à la prochaine fois.

Il est à noter que l’origine du scratch remonte aux années 1940, quand un maréchal innovant décida de fixer un petit bout de tissu sur la poitrine de ses congénères de confession divergente. L’époque étant légère, il avait opté pour une étoffe de couleur et de forme étoilée. Mais le progrès n’étant pas encore ce qu’il est aujourd’hui, il n’avait pu résoudre le problème de l’attache qu’en fixant à demeure le tissu sur les treillis d’alors, ce qui était bien sûr beaucoup moins pratique.

Place aux travaux pratiques, maintenant. Bambois, qui s’échauffe de plus en plus, s’est mis en tête de nous montrer la manière dont s’effectue un déscratchage. Pour cela, il décide de procéder à un examen de la tenue des troupes, avec une attention toute particulière apportée à la question fondamentale de la longueur des revers des manches qui, rappelons-le, doivent être au nombre de trois (les revers, pas les manches), d’une longueur de cinq centimètres chacun, pour se terminer juste au-dessus du coude. Comme ceci.
Le premier aviateur contrôlé, l’aviateur Audibert, ne s’est pas fait chier. Il a remonté ses manches d’un coup sec jusqu’au dessus des coudes, ce qui est le plus logique mais est rigoureusement interdit. Violation manifeste et caractérisée du règlement intérieur : « l’uniforme doit être porté au complet, avec la plus stricte correction » (RDG p. 36).

Bambois, c’est son métier de lutter contre les comportements déviants. Après avoir esquissé un rapide sourire, il s’approche lentement du contrevenant d’une démarche traînante et en le fixant droit dans les yeux. Audibert semble tout surpris et n’en mène pas large. Nous observons attentivement la scène, tout en retenant notre souffle. La respiration de Bambois, quant à elle, s’est par contre subitement accélérée. Il se trouve maintenant à quelques centimètres du malheureux, leurs têtes se touchant presque. Le regard du sergent est d’une fixité absolue, sa mâchoire est crispée, tous ses muscles tendus. Il pose alors la main sur le scratch, sans quitter le bidasse des yeux. Puis, d’un geste brusque, il lui arrache violemment le ridicule morceau de tissu et se tourne vers nous, dégoulinant de sueur, brandissant fièrement son trophée sous les yeux de la section, littéralement subjuguée. Pendant quelques secondes, le scratch semble encore animé de redoutables convulsions, comme Bambois d’ailleurs, puis tout se normalise.
Visiblement, après le bon (Roland) et la brute (Littré), voici le truand. Le casting est parfait, on ne devrait pas s’ennuyer.

La même scène va alors se reproduire à plusieurs reprises. En cause, d’autres manches de treillis aux revers non réglementaires mais également des fermetures éclairs trop ou pas assez fermées (la norme étant dix centimètres en dessous du col) ainsi qu’un calot disposé non pas dans le sens avant-arrière mais dans le sens gauche-droite (ce qui vous donne pourtant un petit air amusant de Napoléon). Je suis pour ma part tombé par la faute d'un ceinturon mal ajusté, ce dernier devant bien entendu recouvrir le treillis sans causer de faux-plis. En tout, ce ne sont pas moins de douze aviateurs rattrapés par la patrouille. Et qui ont été immédiatement et implacablement déscratchés par l’inflexible Bambois, ultime rempart de la civilisation judéo-crétine contre la subversion trotskiste et les lacets défaits.

Publié dans Chapitre 5

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
J
Excellent ! Tombé par hasard sur ton blog. Cela me ramène à la surface mes souvenirs de cette époque, la 88/10 aussi... Mais à Saint Maixent puis a Poitiers. Nous c'était pas le scratch, ou "bande patronymique réglementaire", que l'on nous arrachait avec les mêmes mimiques, mais c'était les boutons de poches (au début on avait pas encore droit au boutons pressions, trop cher mon fils). après l'inspection on avait droit à trois minutes pour les recoudres...<br /> Ton sergent Bambois me fait penser à mon Adjudant Delay, le même genre d'individu... La différence c'est que moi j'étais volontaire, et oui, mais pas longtemps... Il y avait aussi le beret, pardon le couvre chef, si celui-ci n'était réglementairement coiffé, on avait droit à un coup droit brossé sur le sommet du crâne qui faisait voler la coiffe. Et les rangers, haaaa les rangers (brodequin en cuir à jambière attenante). Combien de fois devions nous retourner dans la chambrée pour re-cirer et re-polir nos rangers. On essayait tout, de la cire fondue, des bas pour lustrer, des spray silicone et j'en passe.<br /> C'est drôle tout de même ce que l'on se rappel ces moments là et que l'on prend presque plaisir à se les remémorer entre nous....
Répondre
B
<br /> Sergent Bambois, adjudant Delay, même connerie, même combat !<br /> Mais tu as raison, Jean-Philippe, comment se fait-il que l'on prenne autant de plaisir à se remémorer des moments pareils ?<br /> Si un psy traîne sur ce blog...<br /> <br /> <br />
R
Un épisode à la « blade runer » ou les déviant étaient des répliquant. Ici personne ne peut répliquer. De notre côté ils étaient plus subtile dans l’art de « déscratcher », ils tenaient un moreau du ledit tissu et criaient haut et fort « un pas en arrière : marche ». Le malheureux reculait en voyant son bout de tissu enlever dans un affreux bruit. Quand aux ceinturons, ils s’amusaient à tirer sur le carré de la boucle. Si le ceinturon tenait, il était bien fixer, s’il tombait il l’était mal. Le bruit du ceinturon tombant sur le sol les amusait beaucoup car le pauvre hère se baissait pour le ramasser.  <br />  <br /> <br />  
Répondre